CHRISTONE KINGFISH INGRAM : Kingfish (2019)

Novembre 2017 - Diunna Greenleaf se produit sur la scène du Méridien à Paris et elle a emmené avec elle un gros poupon de dix-huit ans. C’est Christone 'Kingfish' Ingram, très timide, qui tripote son téléphone pour ne pas trop parler. Par contre sur scène, c’est sa guitare qui donne de la voix ! Et Diunna, qui n’a pas sa langue dans sa poche, nous dit qu’elle est fière de présenter ce jeune gars qui est absolument fabuleux.

Septembre 2018 - Telluride Colorado. Christone joue les invités de luxe dans les shows de Pee Way Hayes et de Dwayne Dopsie and the Zydeco Hellraiser et reçoit à chaque intervention une ovation monstrueuse.

Après ces prestations c’est peu de dire que j’attendais avec impatience son premier album. Christone a grandi à Clarksdale, pas très loin de la plantation où Muddy Waters a vécu son enfance, et du fameux carrefour mythique des autoroutes 61 et 49, où Robert Johnson a passé son contrat avec le diable. Sa famille a chanté à l'église et sa mère est la cousine germaine de Charley Pride, légende de la musique country. À partir de six ans, Ingram a joué de la batterie, de la basse et à onze ans, il a rapidement maîtrisé la guitare. Il s’est imbibé de la musique de Robert Johnson, Lightnin ’Hopkins, BB King, Muddy Waters, Jimi Hendrix et Prince. Après avoir participé à un programme au Delta Blues Museum, il monte pour la première fois sur scène à l'âge de 11 ans au Ground Zero Club de Clarksdale et se produit ensuite à la Maison Blanche (du temps de Barack Obama, mais est-ce utile de le préciser ?) Cela certes ne suffit pas à en faire un grand musicien mais les jalons sont posés. Son premier album est vraiment très attendu, et on peut dire qu’il a mis tous les atouts de son côté. Il sort chez Alligator Records, enregistré à Nashville, avec Tom Hambridge à la production plus Buddy Guy et Keb Mo en invités. N’ayons pas peur des mots, ce disque est une merveille, et Christone 'Kingfish' Ingram est un immense guitariste, doublé d’un très bon compositeur. Sa guitare parle, comme celle de BB King, ou de Freddie King, ses chorus sont de petites merveilles, il sait jouer la note juste, ne nous inonde pas d’un déluge inutile d’accords, mais bien au contraire, a déjà compris qu’il faut laisser respirer un morceau, ne pas être toujours omniprésent. Sur les tempos rapides il déchire les lignes avec une facilité déconcertante et sur les blues lents il fait gémir sa guitare. Outre les King, on pense à Clapton, à Steve Ray Vaughan, tous ces mecs qui jouaient le blues avec une pureté et un feeling à faire dresser tous les poils. Buddy Guy est présent, comme pour passer le témoin, il prend le second solo sur «Fresh Out», en laissant son jeune héritier effectuer une superbe entrée en matière. Et cette continuité dans le blues, le vrai, pas celui qu’on nous assène à longueur de temps par des guitaristes qui confondent rapidité et feeling, Christone "Kingfish" Ingram nous la propose, lui qui admire profondément les ancêtres du blues du Delta mais qui possède aussi une grande fraîcheur et un esprit unique pour notre temps. Nous évoquions ses talents de compositeur, il signe huit des douze morceaux de l’album, et son écriture est de qualité tant au niveau des paroles que des mélodies. Sur le morceau acoustique, «Been Here Before», il évoque ses racines et sa famille. Christone 'Kingfish' Ingram sera la prochaine grande étoile du delta blues. Et c’est une sacrée bonne nouvelle !

Michel Bertelle